Cette histoire, entièrement vérifiable, est présentée ici sous forme de nouvelle
Les jumeaux ont cent cinquante ans.
Il était une fois un chroniqueur que tous surnommaient Capèu, chapeau en provençal. Voici précisément un siècle et demi, il tenait une sorte de bulletin quotidien, plus près de l’éphéméride ou de l’almanach. Cette pratique, en vogue en ce temps-là, représentait un peu le livre de raison du pauvre pour ce modeste mineur. Ayant hérité à la fois de son surnom et de cette flamme, sa fille, l’ancienne marchande de journaux dite Marcelle Capèu, sut transmettre par la suite cette mémoire aux futures générations.
C’est bien grâce à ces écrits que nous savons que le préfet Poubelle n’était pas en odeur de sainteté au village ou pourquoi le chemin de Tra-Tra porte ce nom bien surprenant. La liste des révélations est bien loin d’être exhaustive.
Il nous apprend aussi l’arrivée de deux jumeaux d’origine vraisemblablement nord-américaine. Siffrein Dépousier, les a plantés en face de sa maison afin de pouvoir pour toujours les admirer et en profiter.
Peut-être sont-ils d’origine étrangère ? Pourtant, dans ce village où il est si difficile de s’intégrer, ils font l’unanimité.
Son aïeul qui, sauf erreur, était Malachie Dépousier, avait fait poser sur l’imposte de leur porte d’entrée le joli monogramme MD que tout curieux peut encore voir aujourd’hui car il habitait l’immeuble de l’actuelle agence postale au bas de la rue Rondet. Siffrein, lui, aura laissé à la communauté deux platanes qui, s’ils ont connu bien des vicissitudes, sont toujours là, hauts, bien feuillus et forts.
Ils sont restés quasi-indispensables à l’équilibre de générations d’éméchés qui ont, de tout temps, un peu trop prolongé leur apéritif dans les bars voisins. Et que dire de la concurrence qu’ils ont subi lorsque, quasiment à leur pied, on a planté un chichourlier ? Cet arbre de la déchéance. Arraché depuis quelques décennies, il prévenait le chaland de la présence de chichourles dans l’hôtel voisin. C’était le nom des femmes de mauvaise vie, en français, des jujubes…
Quel avilissement lorsque des pissotières ont fait leur apparition entre eux et le jujubier ! Ils ont connu pire ! Pendant toutes les années d’occupation, ils ont été contraints à faire de l’ombre au Q.G des Allemands installé à proximité leur branchage.
En cet an de grâce 2012, on pourrait imaginer que l’anniversaire de leur naissance soit rappelé. Pourtant, sans le savoir, bien des gens du village l’évoquent quotidiennement en profitant d’un petit arrêt sous leur couvert dans la montée de la rue Rondet.Mercredi 12 Février 1862
Thermomètre -1 à 7h du matin.
Temps passablement beau froid air du Mistral.
M. Siffrein Dépousier a fait planter deux platanes en face de sa maison.
